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Adhérente de la Fédération Nationale de la Libre Pensée

La paix gronde à La Courtine un article du Monde (10 juin 2014)

Le Monde rend hommage aux rassemblements pacifistes et notamment celui de Gentioux. Par la même occasion il rend compte du travail acharné que la Libre Pensée a engagé - avec d’autres - pour la réhabilitation des 650 fusillés pour l’exemple.


A lire sans modération....


A la caserne de La Courtine, ce 11 novembre 2013, dans un froid à pierre fendre, des militaires reviennent d’un jogging matinal et se changent dans la cour, torse nu et en short. Des volutes de brume glacée s’accrochent encore au sommet des arbres, dans la forêt alentour. Cette gaze naturelle plonge ce coin de la Creuse dans l’intemporalité, amortit les sons, adoucit les impressions et donne un air paisible à ce lieu que l’Histoire a pourtant empli de fracas.

 

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Troupes russes à Mailly le camp (1916)


Le camp d’entraînement a été ouvert par l’armée de terre au début du XXe siècle. Il s’étend sur 6 200 hectares. Les bâtiments semblent les mêmes que ceux qui figurent sur les photos sépia datant de la première guerre. Dans ce cadre d’une tranquillité trompeuse, les soldats de 1914-1918 recevaient une brève instruction avant d’être envoyés au casse-pipe, jetés au milieu de la mitraille

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Un peu plus tard dans la matinée, ce 11 novembre 2013, des militaires en grand uniforme sont au garde-à-vous devant le monument aux morts de La Courtine, qui égrène quarante-sept noms. Au milieu des drapeaux tricolores, sur fond de musique martiale, la traditionnelle cérémonie de l’Armistice commence, comme elle commence au même moment, avec les mêmes drapeaux et la même musique, devant chaque monument aux morts de France.

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Installation de troupes à La Courtine


Il est une exception, quelques kilomètres plus loin. A Gentioux, au pied du plateau de Millevaches, l’apparat est tout autre. La place est pavoisée d’oriflammes rouges ou noires, de banderoles clamant ’ Ni Dieu ni maître ’ ou ’ A bas la guerre ! ’. Point de gloriole, de ’ bleu horizon ’. Ici, ce sont les ’ sacrifiés ’, les ’ condamnés ’, tous les réfractaires de la chanson de Craonne – texte contestataire écrit dans les tranchées – qu’on honore, la crosse vers le haut. ’ Car si vous voulez faire la guerre/Payez-la de votre peau. ’

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Le monument pacifiste de Gentioux


Libres-penseurs, anars, pacifistes, militants d’extrême gauche sont là comme chaque année pour claironner sans clairon leur dégoût de ce qu’un intervenant appellera ’ la religion drapeautique ’. Pas question de ’ joindre sa voix au concert de cocoricos prononcés pendant les cérémonies officielles ’, assure Jean Penot, du Mouvement de la paix. Les orateurs conspuent le patriotisme mortifère, vouent aux gémonies le sabre et le goupillon, la calotte et l’uniforme, plaignent le paysan, l’ouvrier, l’employé ’ tombés au champ d’horreur ’. On y cite volontiers Georges Clemenceau, mais pas le ministre jusqu’au-boutiste de 1917 ou le ’ Père la Victoire ’, non, plutôt le républicain de 1880 qui disait : ’ La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. ’

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Le discours de la Libre Pensée (2013)


L’atypique cérémonie se déroule devant le plus connu des rares monuments aux morts pacifistes de France. La statue en fonte figure un enfant qui montre du doigt une inscription dans le marbre. On y lit : ’ Maudite soit la guerre. ’ Quand elle fut dévoilée en 1922, elle fit scandale. Maréchal-ferrant gazé dans les tranchées, profondément ébranlé par la grande boucherie dont il sortait à peine, Jules Coutaud, le maire SFIO de la commune, avait refusé toute allégorie des tranchées. Point de soldatesque bravache ou de Marianne rageuse. Plutôt ce gamin en sabots et sarrau, la blouse des écoliers, supposé orphelin d’un des pères dont le nom est inscrit sur la stèle, criant sa malédiction à tous les vents.

A ce jour, le monument, jugé provocateur, n’a jamais été officiellement inauguré. Pendant des décennies, une circulaire interdira même toute cérémonie devant ce pied de nez à l’armée. ’ La petite histoire veut que les officiers ordonnaient à la troupe de détourner la tête quand ils passaient devant ’, explique Régis Parayre, 60 ans, président de la Fédération de la libre-pensée de la Creuse.

 

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Rassemblement à Gentioux (2013)


Cet inspecteur du travail a appris l’existence de l’œuvre iconoclaste en 1986. Deux ans plus tard, il décidait d’organiser une cérémonie du 11 novembre pacifiste. ’ Nous étions une quinzaine. ’ Bon an, mal an, ils sont aujourd’hui quelques centaines à se réunir, sous des banderoles pacifistes et libertaires.

Régis Parayre préside le Comité laïque des amis du monument aux morts de Gentioux, association créée en janvier 1990. Chaque 11-Novembre, le comité convoque à un banquet une centaine de membres, grands pourfendeurs – on n’ose pas dire devant l’Eternel, de peur de froisser ces esprits athées – de la gent galonnée, résumée à un ramassis de vieilles badernes et de traîneurs de sabre.

Au départ, le comité entendait dans ses statuts ’ combattre la guerre et le militarisme ’. Mais la préfecture a refusé d’enregistrer l’association. ’ Nous avons été convoqués et on nous a expliqué que “combattre le militarisme” posait problème, raconte Philippe Janot, 56 ans, fonctionnaire au conseil général. Nous avons donc changé pour “combattre la guerre, honorer la mémoire de tous ceux qui en ont été les victimes et promouvoir la fraternité entre les peuples.” C’est passé. ’

 

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Manifestation à Gentioux (2013)


Les objecteurs de Gentioux demandent surtout la réhabilitation collective des 650 fusillés pour l’exemple de 1914-1918. Ce 11 novembre, Régis Parayre et ses amis se sont rendus dans la commune voisine de Royère-de-Vassivière, afin de se recueillir devant la tombe de Félix Baudy, un soldat fusillé le 20 avril 1915 à Flirey (Meurthe-et-Moselle). Sa compagnie ayant refusé de sortir une énième fois de la tranchée pour aller au-devant d’une mort certaine, il fut décidé des sanctions. Quatre hommes furent désignés par tirage au sort. ’ Le hasard fit bien les choses, puisque trois d’entre eux étaient membres de la CGT, ironise Régis Parayre. Après un simulacre de procès, ils furent condamnés à mort. ’

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Plaque commémorative à F Baudy


La terre ne donnant pas assez pour vivre, Félix Baudy, comme beaucoup de ses voisins, quittait sept mois de l’année sa Creuse natale pour s’embaucher comme maçon sur les chantiers de Lyon. Ces exilés revenaient ensuite avec un petit pécule et, surtout, avec des idées socialistes qui finirent par s’enraciner dans cette contrée rurale. La Creuse devint ainsi une terre frondeuse, suspecte.

Baudy ne fut réhabilité qu’en 1934 par la Cour spéciale de justice militaire, mais son village n’avait pas attendu cette décision. Dès les années 1920, il figurait à sa place alphabétique sur le monument. Une bravade à l’époque. Ses camarades de travail firent également graver une épitaphe provocatrice, aujourd’hui à moitié effacée. ’ Les maçons et aides de Lyon et banlieue à leur ami Baudy, fusillé innocent à Flirey. Maudite soit la guerre et maudits soient ses bourreaux. Baudy n’est pas un lâche mais un martyr.

Régis Parayre, Philippe Janot et les autres poursuivent sans relâche leur iconoclaste œuvre du souvenir. Le 14 janvier 2014, ils ont ainsi fondé La Courtine 1917, une nouvelle association ayant pour but d’’ entretenir la mémoire autour de la mutinerie des soldats russes à La Courtine en 1917 ’. Ils avaient déjà inauguré en septembre 2012 une détonante stèle dans le cimetière, juste à côté du carré militaire et de ses croix blanches alignées au cordeau. On peut y lire : ’ A la mémoire des 10 300 soldats russes de la première brigade internés au camp de La Courtine du 26 juin au 19 septembre 1917. Ils y furent militairement réprimés, eux qui s’étaient mutinés contre la poursuite de la guerre, exigeant leur rapatriement en Russie révolutionnaire. A bas la guerre. ’ ’ Nous avons payé une concession ’, tient à préciser Régis Parayre.

Malgré l’omniprésence des militaires sur la commune, La Courtine reste un symbole du pacifisme, en raison de l’insurrection qui s’y déroula pendant la première guerre mondiale. En avril 1916, le tsar Nicolas II avait envoyé en France un corps expéditionnaire contre la promesse de fusils. Quand l’annonce de la révolution de février 1917 arriva dans les tranchées, des soldats russes refusèrent de se battre plus longtemps, troquèrent les drapeaux pour des slogans rêvant de socialisme, de paix et de liberté, arrachèrent cocardes et épaulettes pour arborer en lieu et place des bouquets de fleurs.

 

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Manuel de "justice" militaire


"La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique" (Clémenceau)


L’état-major français, redoutant que ces idées séditieuses ne contaminent ses propres troupes, sortit illico ces trublions des tranchées. Dix mille d’entre eux furent rassemblés dans la Creuse. Ils ne tardèrent pas à révoquer leurs officiers et à s’organiser en soviets, exigeant leur rapatriement au pays. Après des semaines de négociations infructueuses, les autorités décidèrent d’en finir. A partir du 16 septembre 1917, l’état-major fit donner le canon puis la troupe. Le 19 septembre, le dernier carré de réfractaires se rendait. Les meneurs furent jugés et emprisonnés, notamment sur l’île d’Aix (Charente-Maritime). Les autres mutins eurent le choix entre retourner au front dans l’armée française ou travailler pour l’effort de guerre. Ceux qui refusaient étaient envoyés en Algérie. En 1919, le gros des hommes fut finalement rapatrié à Odessa, dans le sud de l’Ukraine actuelle. La révolte de La Courtine a fait officiellement neuf morts. Mais le bilan est vraisemblablement supérieur à cent tués.


Les pacifistes de la nouvelle association veulent voir dans cette mutinerie une ’ leçon de liberté ’, ’ une fleur nouvelle, fragile, née du refus des hommes de se soumettre à la logique de l’anéantissement des peuples voulu par les maîtres de la guerre ’ ou ’ une gifle magistrale à ceux qui veulent toujours, dans leur propre intérêt, nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative aux marches forcées de l’Histoire ’.


Jules Coutaud, Félix Baudy ou les mutins de La Courtine : les Amis du monument aux morts de Gentioux se sentent les héritiers de ces rebelles de 1914-1918. Tant il est vrai que le pacifisme, s’il n’est pas né dans les tranchées, en sortit renforcé, comme cuirassé par l’horreur. Il puisa dans cette ’ der des ders ’ qui ne le fut pas une force d’aversion qui lui permit de traverser les vicissitudes de l’Histoire.


Il survécut ainsi aux lâchetés des accords de Munich, en 1938, ou aux tentatives de récupération unilatérale par le Parti communiste après la seconde guerre mondiale. Il est arrivé jusqu’à nos jours, comme l’inoxydable gamin du monument aux morts. Les insoumis de la Creuse prétendent entretenir cet idéal.


Benoît Hopquin

© Le Monde


Signez l'appel pour la réhabilitation

http://www.fnlp.fr/spip.php?article892

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